Harmoniser notre vie : le souhait d’être heureux & le gourou yoga

Révision

Nous avons examiné certaines des méthodes utiles pour faire se rassembler nos vies. Nous avons également étudié la toile de fond d’où découlent ces pratiques. Dans une perspective bouddhique élargie, nous avons comme objectif de nous assurer que nos vies futures, en tant que base pour poursuivre notre développement, se produiront sous la précieuse forme humaine que nous avons actuellement. Ceci parce que nous comprenons que notre continuum mental individuel n’a ni commencement ni fin. D’instant en instant, nos expériences sont très fortement affectées par des attitudes et des émotions perturbatrices, or notre comportement impulsif fondé sur celles-ci ne fait que perpétuer ce syndrome.

Tout ceci découle de notre confusion à propos de la cause et de l’effet, la causalité, et au sujet de la réalité, laquelle peut être contrée par une compréhension correcte qui lui est mutuellement exclusive. Si nous pouvons rester concentrés sur cette compréhension tout le temps, alors cette mauvaise compréhension ne sera plus en mesure de se manifester à nouveau. Et une fois que cette incompréhension n’est plus présente, alors, les émotions perturbatrices et le comportement compulsif qui reposent sur elle, ne se reproduiront plus également. Par conséquent, les divers problèmes associés à notre expérience, d’instant en instant, de la vie ne se manifesteront pas non plus également. Nous comprenons alors la pureté fondamentale de l’esprit, et que ces fauteurs de trouble sont ce qu’on appelle des « taches passagères ». Elles obscurcissent la nature pure de l’esprit, mais sont passagères dans la mesure où elles peuvent être éliminées. Ce continuum mental durera toujours et puisque nous réalisons qu’il est possible que notre expérience de la vie soit délivrée de tous les problèmes, de l’insatisfaction et de la frustration que nous éprouvons actuellement, cela nous donne le courage et la confiance de travailler dans ce but. On appelle ce dernier la « libération ».

Dans notre compréhension de la réalité, nous en venons à voir que notre propre continuum mental est quelque chose qui n’existe pas de manière indépendante, isolé de tout le reste, s’établissant de par son propre pouvoir. Bien plutôt, il est fait d’expériences momentanées affectées par un très grand nombre d’autres facteurs. La façon technique de dire cela est que chaque moment surgit en dépendance de nombreux autres facteurs. Et les facteurs extérieurs dont il dépend ne se limitent pas juste à des objets matériels. Chaque moment est également influencé par tous les autres – les continuums mentaux de tout le monde – ainsi que par les unités plus larges qui le composent telles que la famille, la société, les nations, etc.

Tout le monde veut être heureux et personne ne veut être malheureux

Quand on examine les traits de base constitutifs de notre expérience, on trouve que l’une des caractéristiques les plus fondamentales est que nous voulons être heureux et ne voulons pas être malheureux. On pourrait bien entendu analyser pourquoi c’est le cas. Pourquoi voulons-nous tous être heureux et ne pas être malheureux ? Il n’est pas facile d’y répondre ! D’habitude, on se contente d’expliquer cela en disant : « C’est comme ça. » Mais si nous ne sommes pas satisfaits de cette réponse, nous pouvons alors spéculer plus avant, ce qui n’est pas pour autant un gage d’explications correctes. Et il y a une différence entre le fait d’accepter cette déclaration : « je veux être heureux et ne veux pas être malheureux », déclaration que nous pouvons corroborer à partir de notre expérience, et le fait d’accepter une chose située au-delà de notre expérience. Autrement dit, le fait que je veuille être heureux et non malheureux, que je veuille être aimé et non détesté, et que tout le monde soit pareil également, c’est quelque chose dont il se pourrait que nous ne comprenions pas la raison mais que nous pouvons confirmer à partir de notre expérience personnelle. Cela ne se situe pas au-delà de notre propre expérience. 

Nous pourrions également nous demander : « Bon, est-ce juste une question de foi et de se dire que tel est le cas : le fait que nous voulions tous être heureux, ou peut-être que ce n’est pas fondé sur la raison, or nous savons d’après notre expérience que c’est vrai. » Dans ce cas, nous dirions : « Oui, c’est fondé sur l’expérience. » Si nous avons mal, nous voulons que la douleur cesse. Tout le monde cherche à sortir de cette douleur. Nous voulons ôter notre main du feu ; nous voulons échapper au froid glacial. Cela fait juste partie de notre nature. Même si nous voulons nous punir ou prouver quelque chose, peu importe, néanmoins en gardant notre main dans le feu, en faisant cela, nous devons lutter contre notre tendance naturelle à l’en retirer. Cela repose sur l’expérience. Tandis que si nous sommes confrontés à une question du genre : « Y a-t-il une autorité supérieure dans l’univers ? » qui se trouve au-delà de notre expérience, alors c’est quelque chose de différent en termes d’avoir foi et de croire que c’est ainsi, car ce n’est pas une chose que nous pouvons expérimenter. Il y a donc une différence entre croire en une chose dont c’est la nature, que nous pouvons expérimenter par nous-mêmes, contrairement à une chose située au-delà de notre expérience.

Je pense qu’il s’agit là d’un point important assez intéressant. On pourrait dire : « Bon, n’est-ce pas raisonner en boucle que de dire qu’une chose est vraie en se fondant sur notre expérience de ladite chose ? » Car si je dis : « Je peux aussi bien croire en quelque chose d’autre dont je fais l’expérience, à savoir toutes mes idées fausses sur la réalité. Donc, ne puis-je accepter que les choses soient ainsi, simplement parce que c’est ainsi que j’en fais l’expérience ? N’est-ce pas la même chose que de dire :  “Je fais l’expérience que je veux être heureux et que je ne veux pas être malheureux ; par conséquent, je peux croire qu’il s’agit là d’un principe de base.” En s’appuyant sur cela, ne pourrions-nous pas alors dire : “La caractéristique fondamentale de la réalité est qu’elle existe de manière indépendante, s’établissant juste de la façon dont nous la voyons devant nos yeux, car c’est ainsi que je fais l’expérience des choses ?” »

Pour résoudre cette question, nous aurions besoin de faire appel à un raisonnement circulaire. Nous dirions : « À vrai dire, croire en ces idées fausses au sujet de la réalité produit du malheur et des problèmes, tandis que croire que nous voulons être heureux et non malheureux produit du bonheur. » C’est de ce raisonnement en boucle qu’il s’agit ici. C’est se servir de ce que nous essayons de prouver – à savoir le fait que tout le monde veut être heureux et non malheureux – comme preuve de ce que nous essayons de prouver. Parce que nous ne pouvons seulement prouver notre thèse qu’en utilisant une logique circulaire, nous devons en conclure que nous ne pouvons pas prouver logiquement que tous les êtres veulent être heureux et non malheureux.

Nous devons alors nous tourner vers les critères de validité énoncés par Chandrakirti. Il y a la convention avec laquelle tout le monde est d’accord comme quoi : « Je veux être heureux et non malheureux » et cela n’est pas contredit par un esprit qui connaît validement la vérité conventionnelle ni par un esprit qui connaît validement la vérité la plus profonde. En opposition avec cela, la manière dont les choses paraissent exister ne correspond pas à la manière dont elles existent véritablement quand elles sont examinées par un esprit valide connaissant la vérité la plus profonde. Je pense que c’est ainsi que nous pouvons établir la validité de l’énoncé comme quoi tous les êtres veulent être heureux et selon lequel personne ne veut être malheureux.

Notre recherche du bonheur est naturelle

Et donc, vouloir être heureux et ne pas être malheureux est un fait. C’est toujours le cas. Mais il existe une autre approche que nous pourrions utiliser pour le prouver. Vouloir être heureux et ne pas être malheureux n’est pas quelque chose qui possède un contraire mutuellement exclusif. Si nous devions penser l’inverse : « je veux être malheureux et non heureux », cela éliminerait complètement ce principe de fonctionnement général. Cela ne me ferait pas cesser pour autant de vouloir toujours naturellement être heureux. Le souhait d’être heureux et non malheureux est également présent tout le temps. En revanche, notre confusion au sujet des apparences n’est pas quelque chose qui est présent à chaque instant et, quand nous nous focalisons sur le fait qu’il n’existe pas « une chose telle » qu’une réalité qui corresponde aux apparences, nous nous concentrons sur une compréhension correcte, et alors la confusion est non seulement absente mais elle est aussi éliminée. Cela sert donc de base pour dire que « vouloir être heureux et ne pas vouloir être malheureux fait véritablement partie de la nature générale de l’esprit, tandis que la confusion n’en fait pas partie ». Nous ne pouvons donc pas juste fonder la preuve sur le fait que : « bon, il s’agit d’une chose dont je fais l’expérience ».

Pourquoi est-ce si important d’être convaincus que nous voulons être heureux et ne pas être malheureux, et qu’il s’agit là de la nature fondamentale de l’esprit ? Tout d’abord, cela renforce le fait que dans notre développement général nous voulons aller dans la direction de nous débarrasser de notre malheur ou souffrance, et réaliser un bonheur stable et durable. Cette recherche du bonheur est même biologique. Si on considère la biologie, on pourrait dire que les plantes et les animaux cherchent également à croître et s’épanouir. Ce parallèle montre que la quête pour devenir de plus en plus heureux est une chose parfaitement naturelle et appropriée.

On entend souvent dire que l’étape qui suit après avoir dit « je veux être heureux et je ne veux pas être malheureux » est d’être convaincu qu’on a le droit d’être heureux et le droit de ne pas être malheureux. Mais cela pose la question : « Qu’entend-on par le « droit » ? Est-ce une chose que quelqu’un d’autre nous accorde ? Ou devons-nous nous donner la permission d’être heureux ? » Cela conduit alors à se poser des questions supplémentaires telles que : « Est-ce que je mérite d’être heureux ou malheureux ? », laquelle conduit à une autre question : « Dois-je gagner le droit d’être heureux ? » Ces questions surgissent assez fréquemment, en particulier quand notre façon de penser a été affectée par le cadre conceptuel des religions bibliques occidentales.

Du point de vue bouddhique, ces idées comme quoi nous devons obtenir la permission d’être heureux ou celle d’avoir à gagner le bonheur reposent sur une idée fausse. La seule question ici, d’un point de vue bouddhique, est de savoir s’il est véritablement possible ou non d’être heureux et de se débarrasser du malheur ? Et, si c’est possible, comment faire alors pour que cela advienne ? L’idée de gagner le bonheur, ou que quelqu’un nous donne la permission d’être heureux, tout cela repose sur l’idée fausse d’un réceptacle solide pour le bonheur et d’un donneur solide de bonheur. Cela fait du bonheur une commodité et le fait de le gagner une transaction commerciale, comme si le bonheur était une chose qu’on pouvait donner à quelqu’un, et que vous deviez gagner le droit de l’avoir. Dans notre quête de bonheur donc, il est très important d’éliminer les idées fausses à propos de ce qui est véritablement en jeu, sinon ces idées fausses et cette confusion risquent de causer un grand nombre de problèmes.

Il est impossible de réaliser le bonheur le plus profond indépendamment des autres

De plus, ce qui découle de la compréhension de cette nature fondamentale de l’esprit, le fait que nous voulions tous être heureux et ne pas être malheureux, est que si tel est le cas, à savoir qu’il m’est possible d’être heureux en me débarrassant des causes du malheur, alors c’est le cas pour tout le monde. De même que cette possibilité fait partie de mon continuum mental, de même elle fait partie du continuum de tout un chacun également. Il s’agit d’une partie de la nature fondamentale de l’esprit.

Si cela fait partie de la nature fondamentale du continuum de tout le monde, et si tous nos continuums mentaux interagissent et s’affectent les uns les autres, alors il n’est pas réellement possible que nous réalisions le bonheur le plus profond indépendamment de tous les autres. Autrement dit, notre continuum mental n’est pas pareil à une rivière flanquée de hauts murs de chaque côté de telle sorte que le bonheur peut seulement être poursuivi et réalisé par lui-même indépendamment de tout le reste. Les différents courants des ces continuums mentaux ne sont pas des rivières séparées, enserrées dans des murs, et agissant malgré tout les uns avec les autres. Bien plutôt, toutes les choses interagissent entre elles d’une manière très fluide et ouverte. C’est pourquoi, sur cette base, ce qu’on réalise finalement c’est que le souhait d’être heureux et de ne pas être malheureux, et la poursuite de cet objectif, est un phénomène universel. D’accord ?

Visualisez-le : une immense système animé du souhait d’aller vers le bonheur, et nous ne sommes qu’une toute petite partie de ce vaste système. Si nous pouvions comprendre la chose correctement, nous verrions qu’en vérité cet effort vers ce qu’on peut appeler la « libération » ou l’ « illumination », est une chose qui doit être entreprise à l’échelle de l’univers tout entier, et pas seulement à l’échelle individuelle. La connotation de sur quoi nous avons donc mis l’accent ailleurs en termes de compassion – ce qui signifie se détourner du malheur et de la souffrance et se tourner vers le bonheur – est juste une conscience forte et une détermination à poursuivre sur cette lancée, à savoir « je veux être heureux et je ne veux pas être malheureux ». Telle est la nature générale de l’univers. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous commençons à développer la compassion, étayée par l’affection chaleureuse issue de la réalisation de tous les types d’interactions positives qui se sont produites sur la base de l’interdépendance de tous les divers continuums mentaux. 

Bien entendu, il y a eu également une prodigieuse quantité d’interaction entre tout le monde en ce qui concerne la production de malheur. Nous n’avons pas seulement interagi avec les autres de façon à produire du bonheur ; nous avons aussi interagi de façon à produire du malheur. Toutefois, le principe général selon lequel nous voulons être heureux et ne voulons pas être malheureux est davantage dominant et, partant, plus important. En poursuivant notre souhait d’être heureux, nous accentuons les interactions positives. Cela forme une des bases pour que notre pratique fasse se rassembler les divers aspects de notre vie. Mais développons ce point plus avant.

Travailler au bonheur de tout le monde

Si nous voulons être capables de travailler au bonheur de tout le monde – selon la compréhension que nous venons juste d’expliquer – nous devons alors devenir ce qu’on appelle « omniscient ». Nous devons être capables de comprendre l’interaction et l’interdépendance de tous avec tous dans leurs moindres détails et leur complexité. Bien que nos esprits fassent apparaître nos continuums mentaux et ceux des autres comme totalement séparés, comme s’ils étaient emballés dans du plastic ou comme des rivières bordées de hauts murs, ceci est une apparence fausse. Parce que nous croyons fortement que cette fausse apparence correspond à la réalité, cela fait s’accumuler l’habitude d’y croire de plus en plus. Et cette habitude d’y croire pousse nos esprits à générer cette fausse apparence encore plus fortement. Afin d’être omniscient, et de connaître l’interconnexion de tous avec tous, il est nécessaire de faire en sorte que l’esprit cesse de créer ces fausses apparences. 

Pourquoi voulons-nous nous débarrasser des fausses apparences ? Parce que, mus par la compassion, nous voulons être capables d’aider tout le monde ; nous voyons qu’il s’agit du seul moyen logique pour que le bonheur puisse advenir. Cette grande compassion que nous avons pour tout le monde est ce qui nous pousse à rester de plus en plus centrés sur le fait qu’il n’y a pas de murs ni d’emballage plastique. Plus nous restons focalisés sur ce point et plus cela brise l’habitude mentale de produire cette fausse apparence. Tel est le moyen grâce auquel nous réalisons l’illumination. Il s’agit de la combinaison de la compassion et de la compréhension correcte.

Toute la présentation de la voie bouddhique repose sur ce principe général ou nature de l’esprit, à savoir que nous voulons être heureux et ne voulons pas être malheureux. Si on considère les pratiques bouddhiques fondées sur ce principe, on dit généralement qu’elles « accumulent et nettoient », ou qu’elles « collectionnent et purifient ». Nous voulons accumuler les causes du bonheur et nous débarrasser des causes du malheur. Ici, se pose la question de savoir laquelle de ces pratiques nous faisons en premier ou si nous les faisons simultanément. Il s’agit d’un processus double. Le terme « accumuler » est similaire au fait de mettre une batterie électrique en charge, afin qu’elle puisse fonctionner à plein régime.

Nous avons vu que ce dont nous faisons l’expérience à chacun des moments de notre continuum surgit en dépendance de nombreux facteurs : ce que tous les autres ont fait et toutes les choses qui se passent dans le monde, etc. Cela s’applique tant au malheur dont nous voulons nous débarrasser qu’au bonheur que nous voulons construire. Souvent dans notre entraînement bouddhique et de même dans les thérapies occidentales, ce sur quoi on se focalise ce sont tous les facteurs causaux qui nous ont apporté du malheur et des problèmes pour ensuite leur appliquer les diverses méthodes qui permettent de s’en débarrasser. Ce qu’on trouve dans une bien moindre proportion, c’est de se focaliser sur les choses positives que nous avons obtenues des autres, de la société, de la culture, etc., lesquelles ont contribué à notre bonheur et à notre bien-être. Quand on considère les quatre nobles vérités, on pourrait avoir l’impression que l’approche du bouddhisme consiste uniquement à se débarrasser des problèmes et se concentre donc sur toutes les choses négatives qui les entraînent. Cependant, quand on examine d’un peu plus près les enseignements, on découvre soudainement quelque chose en plus de la présentation de base des quatre nobles vérités, il s’agit de la présentation de la relation confiante avec un maître spirituel et dans la nature-de-bouddha.

La nature-de-bouddha : les facteurs qui nous permettent de devenir un bouddha

La nature-de-bouddha fait référence à tous les facteurs qui nous permettent de devenir un bouddha. L’un de ces facteurs est la nature heureuse fondamentale de l’esprit, sa félicité naturelle. Elle n’est pas affirmée par tout le monde, mais de nombreuses écoles tibétaines l’affirment comme étant le nature générale de l’esprit. Nous pourrions alors penser : « Bon, alors si la félicité naturelle de mon esprit est la cause générale de mon bonheur, donc tout ce qui me reste à faire est de me focaliser dessus. » Si vous pensez ainsi, cela ne concerne que nous et nos propres continuums mentaux. C’est complètement égocentrique.

Un autre terme pour « nature-de-bouddha » est « caractéristique de famille » ou « caste ». Le « caractère de famille » nous permet de faire partie de celles et ceux qui deviendront un bouddha. Ou bien nous avons encore le mot « matrice ». Il s’agit de la matrice au sein de laquelle nous grandissons en tant que bouddha. De toute évidence, nous allons grandir et nous développer dans la matrice de quelqu’un de notre propre espèce, ces deux images s’accordent. Faisant partie des caractères de famille, on trouve le vide de l’esprit, la pureté naturelle de l’esprit, le véritable aspect de félicité de l’esprit, le fait qu’il y ait de l’énergie, et le fait que cette énergie bouge vers l’extérieur et communique, le fait que l’esprit produit des apparences, et on a ainsi l’esprit, la parole et le corps. Tous ces caractères forment la matrice et les caractéristiques avec lesquelles nous pouvons alors développer leurs potentiels maximum en tant que bouddha. Et, coiffant le tout, nous avons le rôle du gourou, le maître spirituel. 

Dans la tradition Kadam, se prolongeant dans la tradition Guéloug, le rôle du gourou est expliqué comme semblable à une racine. Il s’agit de la racine du cheminement qui nous apportera la libération et l’illumination ; c’est d’elle que nous obtenons la nourriture. La nourriture que nous recevons se fait sous forme d’« inspiration ». L’inspiration nous donne de la force au début, au milieu et à la fin. Il s’agit de la force pour démarrer sur le chemin spirituel, la force pour continuer à cheminer dessus, et la force d’aller jusqu’au bout du chemin. Le maître spirituel nous donne donc de l’inspiration et de la force pour poursuivre, sous sa forme la plus pleine, à savoir cette nature fondamentale de l’esprit qui est d’être heureux et de ne pas être malheureux.

Cette pratique que je veux présenter, de faire s’assembler notre vie, est fondée sur les enseignements concernant le maître spirituel et sur la manière dont nous tirons de l’inspiration du maître spirituel afin de réaliser le plein potentiel de notre esprit, avec sa nature de félicité, et d’atteindre ainsi la bouddhéité. Telle est la source de ce que j’enseignerai. Nous considérerons la manière de se relier à un maître spirituel de la façon la plus saine et bénéfique afin d’en obtenir le maximum d’inspiration et d’appliquer alors ce principe à d’autres gens de grande influence dans nos vies. Après tout, tout le monde n’a pas un maître spirituel.

Voir les défauts du maître spirituel

Nous avons tous des défauts, et tous nous avons des côtés positifs. Comme on le trouve écrit dans de nombreux textes, il sera presque impossible de trouver un maître spirituel qui n’ait que des bonnes qualités et ne possède ni handicaps ni défauts. Un défaut pourrait être que notre maître ne dispose pas de temps pour nous parce qu’il ou elle a tant d’autres disciples. Nous sommes d’accord ? Il n’est pas nécessaire de penser aux défauts comme si la personne était tout le temps en colère.

Maintenant nous avons tous ces enseignements sur le fait de voir le maître spirituel comme un boudhha, etc. Je ne veux pas entrer dans trop de détails ici dans la mesure où il s’agit d’un vaste sujet. J’ai écrit tout un livre à ce propos ! Mais si l’on considère le commentaire du Cinquième Dalaï-Lama sur ce point, sa présentation des Étapes progressives du chemin, sur le fait de se concentrer sur le maître spirituel comme étant un bouddha, il a écrit qu’il n’y a aucun profit à se focaliser sur les défauts de quoi ou qui que ce soit et de se plaindre à ce sujet. Cela ne fait que vous déprimer. C’est ce que dit le texte scriptural. Il n’y a aucun profit à se focaliser sur les qualités négatives de quiconque ou de quoi que ce soit, et de s’en plaindre, car cela ne fait que nous rendre dépressif. En revanche, si nous nous concentrons sur les qualités positives, nous en tirons de l’inspiration.

En faisant ce commentaire, le Cinquième Dalaï-Lama le met en rapport avec la pratique de se relier à un maître spirituel. Il dit, en abordant cette méditation qu’on appelle le « gourou-yoga », autrement dit en méditant sur le maître spirituel, que le premier pas consiste à reconnaître les défauts du maître spirituel. C’est radicalement différent de la manière dont de nombreux autres textes présentent le gourou-yoga. Il nous dit de reconnaître les défauts du maître spirituel, quels qu’ils soient. Ne soyez pas dans un état de déni ! Voyez-les plutôt à la lumière de ce que le bouddha a dit, à savoir qu’il n’y a aucun bénéfice à s’étendre sur des qualités négatives. Nous les reconnaissons sans les nier. Et nous voyons que si nous nous focalisons sur elles, cela ne nous aidera pas ; en fait, cela ne fera que nous tirer vers le bas. Dès lors, nous mettons de côté toute autre considération concernant les défauts.

Voir les bonne qualités du maître spirituel

Une fois effectué ce processus de gestion des défauts du maître spirituel, nous pouvons alors nous concentrer sur les bonnes qualités, là où la méditation traditionnelle sur le maître spirituel débute. Si nous ne procédons pas de cette façon, nous pourrions alors commencer à nous questionner : « Suis-je naïf dans tout ce processus de focalisation sur le gourou ? » À ce stade, nous essayons de reconnaître les bonnes qualités du maître spirituel et de nous convaincre que lui ou elle possède ces bonnes qualités, que nous ne les inventons pas. L’état d’esprit qu’on développe à partir de cette conviction est une croyance confiante que c’est vrai.

Une fois acquise cette croyance confiante en les bonnes qualités du maître, la méthode traditionnelle est alors de se concentrer sur la bonté du maître. Fondamentalement, on se concentre sur les bienfaits que nous recevons de ces qualités positives. L’émotion que nous développons à partir de cela est un sentiment profond d’appréciation et de respect. Puis nous imaginons des lumières émanant du maître spirituel et venant se fondre en nous, lesquelles nous inspirent sur la base de cette croyance confiante dans les bonnes qualités et de l’appréciation du bénéfice que nous en recevons. Cette méditation est la racine à travers laquelle nous tirons la force et l’inspiration pour essayer de développer encore plus ces qualités en nous, qualités fondées sur la nature-de-bouddha. Nous réalisons que nous appartenons à la même caste, à la même famille que celle du maître spirituel et du Bouddha. 

Si donc, notre continuum mental a été influencé par tant de personnes et tant de facteurs différents concernant les influences bénéfiques et préjudiciables, la même analyse que pour le maître spirituel s’appliquerait alors à eux. Et il en irait de même pour notre famille, notre culture, notre nation, pour tout. Il y a eu des côtés positifs et négatifs. Nous pouvons nous focaliser sur les aspects négatifs, les diverses choses qui nous ont influencé négativement ou ont causé des problèmes dans la vie, et nous pourrions alors suivre une thérapie. Mais du point de vue bouddhique, bien que nous ayons besoin de nous débarrasser de tous les problèmes qui ont été influencés par ces choses, il n’y a pas lieu de s’en plaindre. Au lieu de cela, nous regardons l’autre aspect, à savoir les bonnes qualités de toutes ces personnes et de ces choses, les bénéfices que nous en avons reçus. Nous en tirons de l’inspiration et les intégrons tous ensemble pour voir que le « moi » est un phénomène imputé pas uniquement sur la base de tous ces problèmes et de leurs causes mais qu’il l’est aussi sur la base de toutes les choses positives et bénéfiques que nous en avons tirées.

Conclusion

Tel est le cadre de ce programme consistant faire s’assembler et s’harmoniser les divers éléments de nos vies et à les intégrer, programme selon lequel le « moi » est un phénomène imputé. Quand on parle de faire se rassembler nos vies, c’est identique à ce que le Cinquième Dalaï-Lama nous conseille en ce qui concerne le gourou. Nous reconnaissons certaines choses. « Ma mère m’a fait ceci, et mon père m’a fait cela, et ils ont causé ce problème-ci et ce problème-là. » Nous reconnaissons tout cela, nous ne le nions certainement pas. Mais nous voyons aussi qu’il n’y a aucun bénéfice à se plaindre ou se focaliser dessus. En revanche, nous nous concentrons sur toutes les choses positives que nous avons tirées de notre famille, de nos amis, etc., avec un sentiment de très grande gratitude pour tout ça. De cette manière, nous faisons s’assembler nos vies dans le sens où nous voyons que le « moi » est un phénomène imputé sur cette totalité, aussi bien sur les influences négatives que sur les positives. Et dans notre méditation, nous nous concentrons simplement sur les aspects positifs en sorte d’en obtenir force et inspiration. Cette force et cette inspiration seront non seulement bénéfiques en mode « Dharma allégé » dans l’optique de cette seule vie, mais elles nous donneront aussi la force de travailler à nos vies futures, à la libération et à l’illumination.

Top